« Je ne suis pas un ancien combattant, je suis un vieux lutteur ». C’est ainsi que Paul Bouchet aimait à se définir. Sa lutte, il l’avait commencée dans la Résistance, à 18 ans. Il l’a poursuivie jusqu’à ce lundi 25 mars, au bout d’une vie qui l’aura vu sur tous les fronts de la guerre contre l’injustice, contre la misère, contre l’intolérance.
Pour lui, ces combats étaient ceux des droits de l’homme, de ces droits fondamentaux proclamés au sortir de la seconde guerre mondiale parce qu’ils sont essentiels à la dignité humaine et que leur méconnaissance ouvre la voie à toutes les haines, à toutes les violences, à toutes les guerres. Des droits fondamentaux qui ne se limitent pas à ce qu’on appelle les libertés démocratiques - qu’est-ce que le droit de vote pour qui dort dans la rue ? - mais qui incluent l’accès aux soins et à l’éducation, la satisfaction de besoins aussi élémentaires que se vêtir, se nourrir, se loger. Des droits qui sont les mêmes pour tous - « Droit des pauvres, pauvre droit »-, mais des droits qui doivent être garantis aux plus fragiles. Avocat, longtemps membre du Conseil d’État, Paul Bouchet plaidait pour le droit vivant, à l’opposé du juridisme étroit, pour un droit qui s’attache à l’humain, qui avance avec la société et la fait avancer vers plus de justice et de fraternité.
J’ai eu la chance de croiser son chemin en 2002, lorsque j’ai été nommé secrétaire général du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées, où il siégeait. Il était alors président d’ATD Quart monde, mouvement créé par le père Wresinski pour qui la misère était « une question de droits de l’homme ». Au lieu de garder les yeux rivés sur les dispositifs techniques et financiers, Paul nous a fait prendre de la hauteur : la question n’est pas dans les outils, la question est dans les principes : dès lors que le droit au logement est reconnu, son respect doit être garanti à tous. Instaurons une obligation de résultat et les moyens devront bien suivre. Lorsqu’on a ouvert le droit à l’instruction, disait Paul, il a bien fallu ensuite construire les écoles, recruter les enseignants. Garantissons le droit au logement, permettons au citoyen d’ « opposer » son droit à l’État pour que celui-ci se donne les moyens de son application. Sa force de conviction a entrainé Xavier Emmanuelli et chacun des membres du Haut comité et c’est ainsi que nous nous sommes engagés dans cette aventure. Chargé de remettre un rapport annuel au Président de la République, le Haut comité n’a eu de cesse, entre 2002 et 2006, de plaider pour le droit au logement opposable et d’en proposer les modalités.
Mais on sait ce qu’il en est du sort des rapports officiels lorsqu’ils contiennent des propositions exigeantes pour l’État... Ils n’auraient pas emporté la décision s’ils n’avaient pas rencontré la mobilisation du mouvement associatif. Cette mobilisation, c’est encore Paul qui l’a initiée réunissant, à partir de 2003, l’ensemble des grands réseaux associatifs dans une « plateforme DALO ». On se rappelle ensuite l’année 2006 : une campagne électorale dans laquelle, brusquement, l’action des Enfants de Don Quichotte donne de la visibilité aux sans abris. Et, dans ce contexte, un projet de loi rendant le droit au logement opposable qui se trouve inscrit, en urgence, à l’ordre du jour du Parlement début 2007. La loi DALO est une victoire collective, une victoire de la société civile, mais une victoire qui n’aurait pas été obtenue sans Paul, sa détermination à se concentrer sur l’essentiel et à ne rien lâcher, la clarté de ses idées et de son discours grâce auxquels il nous a tous entrainés.
« Le vote de la loi est un lever de rideau », disait-il alors. Effectivement, nous avons ensuite eu à combattre pour la bonne application de la loi. Nous l’avons fait d’abord au sein du Comité de suivi de la loi DALO dont je rédigeais les rapports. Comme nous n’étions pas surs que le Président de la République, qui en était le destinataire, les lisait, nous nous attachions à ce que le titre résume le message : « L’État ne peut pas rester hors la loi » (2010), « Monsieur le Président de la République, faisons enfin appliquer la loi DALO » (2011). Jamais je n’aurais osé proposé de tels titres, jamais ils n’auraient été validés sans Paul. Il était respecté et écouté de tous car il ne se battait contre personne, mais pour la justice, pour les gens, pour la société. J’ai eu la chance et l’honneur de mener aux côtés de Paul Bouchet ce combat du DALO. Lorsque, début 2015, René Dutrey et moi lui avons fait part de notre projet de créer l’Association DALO, il nous a immédiatement apporté son soutien, acceptant d’en être président d’honneur.
Aujourd’hui son départ nous plonge dans la tristesse.
Mais pars tranquille, Paul, d’autres lutteurs prennent le relais et ton inspiration continuera à les guider.
Bernard Lacharme
Président de l’Association DALO
Retrouvez Paul Bouchet dans un témoignage enregistré en 2016 pour l’Université ouverte des humanités :